Figure de proue de l’opposition burundaise et contraint à vivre en exil en Belgique depuis quelques années, Alexis Sinduhije s’exprime sur la situation sociopolitique de son pays, notamment la lutte que mène le Cnared (Conseil national pour le respect de l’accord d’Arusha et la restauration d’un Etat de droit) au Burundi. Selon ses explications, le Cnared a accompli la mission à lui assignée dès sa création. Il en veut pour preuves, ses nombreuses actions ayant permis à la communauté internationale de se rendre compte que le Burundi est un pays où la situation des droits de l’homme est alarmante. Cependant, il reconnait que la diversité des opinions au sein du Cnared qui le crédibilise devant la communauté internationale, constitue également un handicap pour son fonctionnement. Il revient par ailleurs, dans cet entretien, sur l’amendement de la Constitution burundaise et annonce la détermination du Cnared à stopper le régime de Pierre Nkurunziza pour restaurer l’Etat de droit.
L’Événement Précis : Opposant burundais en exil, dites-nous, Alexis Sinduhije, comment organisez-vous depuis la Belgique, la lutte contre l’accaparement du pouvoir au Burundi?
Je suis aujourd’hui dans la résistance parce que mon pays est sous une dictature sans nom, celle de la famille de Pierre Nkurunziza avec l’aide de ses sbires de l’armée, de la police et de sa milice para militaire Imbonerakure, même si nous avons des contacts avec certains d’entre eux qui comprennent notre lutte. Je suis un Africain convaincu que notre continent est capable du meilleur pour lui-même et pour le monde, et que notre jeunesse peut avoir mieux que d’aller finir sa vie en Méditerranée. Il nous faut du bon sens et de la volonté pour inventer un meilleur avenir. C’est le défi du Mouvement pour la solidarité et la démocratie (Msd) qui résiste à ce régime sanguinaire pour inventer un avenir plus radieux pour le Burundi.
Parlez-nous du Cnared. Quelles sont les principaux objectifs de ce creuset ?
Le Conseil national pour le respect de l’Accord d’Arusha et la restauration d’un Etat de droit, Cnared en sigle, a vu le jour pour stopper le cauchemar burundais que sont Pierre Nkurunziza et son régime. Le Cnared a été créé après la comédie électorale de son 3ème mandat, pour empêcher qu’il s’installe dans le fait accompli, pour maintenir en alerte la communauté internationale sur le danger que constitue ce régime pour les burundais mais aussi pour la sous-région. Le Cnared a rempli cette mission puisque le Burundi reste inscrit sur l’agenda de la communauté internationale comme pays où la situation des droits de l’homme est extrêmement alarmante, et comme pays menaçant la sécurité sous-régionale.
Paradoxalement, la raison de ce succès est aussi celle de son échec. La raison du succès est que le Cnared a rassemblé des partis et des personnalités politiques d’opinions et d’horizons très diversifiés, ce qui a crédibilisé son combat politique auprès de l’opinion nationale et internationale. Mais cette diversité dans une plate-forme politique finit par être un handicap, parce qu’elle ne peut pas empêcher les habituelles mesquineries politiciennes de refaire surface au fur et à mesure que l’on approche l’objectif à atteindre, ou que l’endurance au combat fait défaut à certains. C’est un phénomène que l’on observe dans toutes les luttes politiques, et le Cnared n’a pas fait exception.
Le Cnared a donc rempli sa mission et la crise qu’il traverse avec les défections enregistrées récemment ne change rien à cet acquis positif d’avoir révélé au monde entier la nature criminelle de Pierre Nkurunziza et son régime. Aujourd’hui, grâce au Cnared, aucune personnalité politique, aucun Etat ne peut prétendre qu’il ne connait pas le véritable visage de ce régime. C’est appréciable comme travail accompli. Maintenant, il faut passer à une autre étape de la lutte et le Cnared n’est pas indispensable pour cela.
Puisque votre mouvement, le Msd a été suspendu par le gouvernement burundais, est-ce que les actions du Cnared, au regard de votre position actuelle, peuvent impacter votre base et la population burundaise ?
En réalité, le parti Msd n’a pas pu travailler comme le lui autorisait la loi depuis 2014, à cause des entraves administratives et policières sciemment mises en œuvre par le pouvoir. Cette suspension a expiré depuis octobre 2017, mais juste après l’expiration de la sanction, le ministre de l’Intérieur a saisi la justice pour demander la radiation du Msd pour des motifs complètement farfelus. Légalement, le Msd existe toujours, mais de fait il ne peut pas travailler et nos militants sont constamment intimidés, portés disparus, arrêtés, emprisonnés, torturés, tués. Tout cela indépendamment des activités du Cnared. C’est une volonté politique du Cndd-Fdd (Le Conseil national pour la défense de la démocratie et Force pour la défense de la démocratie) de rayer le Msd de l’espace politique qui existe bien longtemps avant la création du Cnared. C’est la même chose pour la population qui est prise en otage par le système Nkurunziza. Elle souffrait déjà bien avant l’existence du Cnared.
Comment voyez-vous la gestion du pouvoir aujourd’hui dans votre pays ?
C’est un système criminel qui gère le pays par la corruption et le crime de sang, et qui n’a d’autre vision que de se pérenniser au pouvoir. Mais cette gestion n’est pas seulement cauchemardesque pour la population, elle constitue un danger pour la stabilité de la sous-région des Grands Lacs, et on en sent déjà les frémissements.
Alors, depuis que le ‘’oui’’ l’a emporté sur le ‘’non’’ pour l’amendement de la Constitution burundaise, à quoi peut-on s’attendre dès l’année prochaine, en 2020 ?
Le ‘’oui’’ pour l’amendement de la Constitution ne l’a pas emporté, parce que la population ne s’est pas exprimée. Il n’y a aucun crédit à donner à ce référendum, qui a eu lieu en mai 2018, comme il n’y a aucun crédit à donner aux élections de 2020 qui seront organisées par Pierre Nkurunziza. Il ne faut pas non plus oublier que cette Constitution n’a pas été soumise à l’approbation du Parlement (sa chambre d’enregistrement) pour être traduite en une loi, et qu’elle est donc juridiquement inexistante. La Constitution est en effet une loi fondamentale promulguée par décret après la sanction du Parlement. Donc, la lutte contre le régime criminel de Bujumbura va continuer.
Pensez-vous avoir l’arsenal nécessaire pour dire non à un troisième mandat du président Pierre Nkurunziza, et qui sont vos soutiens actuels dans cette lutte ?
Le troisième mandat de Nkurunziza tire à sa fin, et ce n’est pas seulement le mandat qui constitue le problème mais, comme je vous l’ai dit, c’est le système éminemment criminel du Cndd-Fdd.
L’arsenal nécessaire pour détruire ce système existe, c’est la détermination du peuple burundais qui ne faiblit pas, en dépit de la répression et des violations massives des droits humains. Cette détermination est le meilleur arsenal. Et c’est ce peuple qui est le soutien permanent de notre lutte.
La réconciliation Tutsi et Hutu, où en êtes-vous près de 20 ans après la création de votre station radio ?
La réconciliation Tutsi et Hutu est une réalité concrète que Pierre Nkurunziza lui-même est en train d’expérimenter. Il a tout fait pour ethniser la crise qu’il a lui-même créée, et la réponse qu’il a c’est une lutte nationale contre lui et son système, dont le porte flambeau est composé de Tutsi et Hutu.
Des négociations sont-elles en cours pour votre retour au pays ?
Non, il n’y en a pas. Ce n’est pas possible, ni envisageable, tant que Nkurunziza et son système sont en place. En tout cas pas pour le Msd. Il n’y a plus d’autre choix que de résister contre un régime sanguinaire. La communauté internationale est hésitante mais, soyez rassurés, les fourmis que nous sommes arriveront à terrasser celui qui se prend pour un éléphant.
Quel est l’objectif du congrès du Msd en vue?
Ce n’est pas un congrès, c’est une réunion de membres du Msd de la diaspora européenne comme on en fait régulièrement. Ce sont des occasions de faire le point sur le pas franchi dans la lutte, et de discuter des étapes suivantes de la résistance contre ce régime qui ne cesse de tuer sa population.
La sanction américaine pèse-t-elle toujours sur vous ?
Oui, en principe. Elle n’est pas encore levée, mais je crois que cela viendra. La sanction a été prise dans un contexte précis, qui a beaucoup changé depuis, et qui a surtout révélé au monde la nature réelle de Pierre Nkurunziza et son régime, ce qui n’était pas le cas à l’époque où a été prise la sanction.
D’aucuns vous considèrent comme la bête noire du régime Nkurunziza. Quel est votre parcours au juste ?
Je suis journaliste de profession, formé à l’université du Burundi et à l’université de Harvard aux États-Unis. J’ai fait tout dans les médias. La presse d’agence avec Reuters, la presse écrite avec un journal, La semaine que j’ai fondé avec des copains, qui a fait long feu et a été interdit dans sa deuxième année, la radio aussi, et la création de la radio publique africaine, le fameux mur des lamentations du peuple burundais que j’ai dirigé pendant 10 ans.
Un appel à lancer aux populations burundaises ?
Oui. Continuez dans votre détermination, ne perdez jamais espoir, créez des chemins de la liberté car, comme le disait un grand résistant, « tant qu’il y a du chemin, il y a de l’espoir ». Je vous remercie.
Entretien réalisé par Gérard AGOGNON
Par L'événement Précis