Le ministre burundais des affaires étrangères et de la coopération au développement a rappelé, dans une interview à la RFI, l'objectif visé lors des rencontres entre les hautes autorités de son pays et celles de la République Démocratique du Congo: "mettre hors d'état de nuire toutes les forces négatives qui pullulent dans la partie Est de la RDC, surtout le Sud-Kivu qui est frontalier avec le Burundi".
Le déploiement d'une délégation de haut niveau en République Démocratique du Congo à partir du 30 août 2021 succédait à la visite, pour le même objectif, du chef de l'Etat burundais Evariste Ndayishimiye à son homologue congolais Félix Tschisekedi en juillet dernier.
Nous avons parlé au politologue Issa Ndimurwanko pour avoir plus d'éclaircissements sur les probabilités de réussite de ces conventions sécuritaires entre les deux pays. Issa Ndimurwanko a également été au maquis dans les rangs des PALIPEHUTU-FNL.
Revenons sur la question posée concernant l'entente conclue
entre les chefs d’Etat burundais et congolais d’éradiquer des groupes rebelles
burundais basés en République Démocratique du Congo. Ces éléments
négatifs déstabilisent la paix et la sécurité de ces deux pays. Leur présence à
l’Est de la RDC est le fruit de la politique d’exclusion pratiquée par le parti
CNDD-FDD, au pouvoir. Depuis son ascension au pouvoir, il n’a pas voulu associer
l’opposition à la gestion du pays. Il a plutôt emprunté la voie d'exclusion
suivie par la disparition forcée de ses opposants, etc...
Pour les éradiquer, il faut tout
d’abord une politique saine de gouvernance et de développement pour tous : cela est la gage de la paix et de
la sécurité. L’effritement de la sécurité du pays est dû au comportement de conquistador du CNDD-FDD et sa création de la milice Imbonerakure qui tue et terrorise
tout opposant aux politiques de ce parti. La voie que les deux chefs d’Etat
préconisent pour venir à bout à ces mouvements armés n’apportera pas de fruits
escomptés.
Pour réussir ce pari, le pouvoir de
Gitega a le devoir d’instaurer la politique d’égalité entre les citoyens et la
sacralité de la propriété privée. Il faut tout d'abord créer un climat
politique apaisé et ensuite envisager la politique de rapatriement volontaire
des réfugiés. Les rangs de ces groupes armés se rétréciront comme la peau de
chagrin. Au cas contraire, s’engager dans les opérations militaires conjointes
ne garantit pas la paix et la sécurité du Burundi ni celle de la RDC. Par
contre, la souveraineté du Congo voisin
risque d'être violée par une armée étrangère.
Rappelez-le que ces groupes rebelles
tissent des liens d’amitié forts avec la population locale. La défaillance de
l’Etat congolais est une pièce maîtresse au développement de groupes rebelles
burundais sur son territoire. Toute opération ou intervention militaire
étrangère peut être vue par la
population comme une agression violant leurs droits fondamentaux. Pour cela, cette
intervention coalisée a moins de chances de réussir. Il serait sage pour les
deux gouvernements d'assainir leurs politiques internes et vaquer au
développement communautaire. Ce sont, en réalité, les premières opérations à
envisager pour sécuriser leurs territoires et leurs frontières poreuses.
En conclusion le concept de sécurité
est discutable dans les études des relations internationales car c’est un
concept a plusieurs sens. La sécurité d’un État peut dépendre de la sécurité de
ses voisins. C’est la raison pour laquelle des États mettent souvent ensemble
leurs moyens pour garantir leurs sécurités. Pour sécuriser l’Est de la RDC, on a
besoin d’efforts de trois États : le Burundi, le Rwanda et la RDC.
L’absence d’un seul Etat à la quête de la sécurité d'un de ces pays pourrait
vouloir dire la menace de celui qui est absent. Le projet sécuritaire initié
par Félix Tschisekedi et Évariste Ndayishimiye ne réussira pas car il y a
plusieurs facteurs endogènes qui doivent être analysés avant de se lancer dans
les opérations militaires coûteuses en termes de coût humain et financier.
Vous avez évoqué le manque d'organisation interne pour les deux Etats: la RDC et le Burundi. Mais, en se référant sur l'histoire récente, il semblerait que les groupes rebelles burundais préfèrent s'installer en RDC. C'est ce qu'on a également constaté avec le CNDD-FDD, aujourd'hui au pouvoir, lorsqu'il combattait les régimes du Burundi. Etant ancien combattant des Forces Nationales de Libération (FNL), pouvez-vous nous donner d'autres raisons qui incitent les rebelles burundais à s'installer au Sud-Kivu?
En effet, le manque d'organisation
interne des Etats est le premier facteur qui favorise l'émergence des
mouvements de contestation. Ils s'organisent sur la cendre de l'absence de
l'Etat. Cette absence est une opportunité en or pour des mouvements, qui en
réalité, peuvent aisément s'installer, exploiter et étendre leur influence sur
la population locale. Pour le cas de la RDC, c'est plus complexe, car souvent
des éléments du gouvernement collaborent avec l'ennemi sans parler de la
population qui intègre les rangs de celui-ci bien qu'il ne soit pas
congolais.
D’autres facteurs qui charment des
rebelles burundais à s’inoculer au Congo sont des éléments naturels. Le Sud-Kivu
est riche en forêts, en montagnes et en richesses naturelles. Tous ces éléments séduisent des forces négatives
burundaises au point où les conflits inter-burundais abrasent de facto ce grand pays. De plus, l'Est de la RDC est connu sur son abondance en source
minérale et est un vaste territoire ayant des forêts et un climat tropical très doux.
Les maquisards burundais utilisaient, à l’époque, l’Est de la RDC comme zone de
transit des blessés.
Déloger un rebelle installé dans une
forêt dont il contrôle des entrants et sortants n’est pas une mince affaire.
Sachant que les antennes placées au sommet des montagnes leur donnent un avantage
considérable sur leur ennemi. La richesse congolaise est un élément essentiel
qui peut être analysée pour comprendre pourquoi les rebelles burundais préfèrent
utiliser l'Est du Congo pour mener leurs attaques au Burundi? Plusieurs études qui
se sont penchées sur l’instabilité de l’Est de la RDC ces vingt dernières années démontrent
que les rebelles exploitent illégalement les ressources naturelles du pays. C’est dans cette optique que les forces négatives
burundaises profitent de la faiblesse de l’Etat de
Kinshasa pour s'installer à l'Est du Congo.
Si j'essaie de comprendre, les garanties financières comptent énormément pour ces groupes rebelles.
Oui, la réussite d'une
organisation repose généralement sur sa capacité financière. Les causes que les
mouvements rebelles défendent demandent une grande patience et résistance aux
intempéries du temps. Le temps est le pire ennemi de l’homme et les rebelles
sont conscients qu’ils ne peuvent être maîtres du temps sans la capacité
financière. Pour satisfaire à ce besoin, ils ont choisi d'occuper le Congo [RDC]. Ce
pays est devenu une vache à lait pour plusieurs acteurs militaires.
Evariste Ndayishimiye sait que la paix du Burundi est
intimement liée avec la stabilité de son voisin. En d’autres termes, l'opération conjointe est l'une des stratégies
pour couper la source de financement de ces mouvements. De 1994 jusqu’à nos
jours, l’Est du Congo [RDC] est devenu un terrain de combat interposant plusieurs
armés. A cause de l’instabilité qui ne cessait de s’intensifier, plusieurs opérations
conjointes ont été initiées pour déloger des mouvements opérant à partir du territoire
congolais.
La paix et la sécurité du
Burundi dépendent de la stabilité du Congo [RDC]. L’effectivité du pouvoir central
congolais sur l’ensemble de son territoire serait un élément essentiel à la
stabilité ou à l’amélioration de celle de ses voisins, en particulier le Burundi. Ce dernier pourrait
se réjouir de cet acquis mais il a une responsabilité de pratiquer une
politique d’égalité entre ses citoyens. Même si l’Etat de Kinshasa parvenait à
imposer son autorité, ce n’est pas automatique que le pouvoir de Gitega recouvre
sa sécurité.
Lorsqu’un conflit armé éclate entre
le gouvernement et ses opposants, les insurgés cherchent à tout prix mettre les mains sur les zones riches en ressources naturelles. Le gouvernement
doit tout faire pour garder jalousement la souveraineté de l'Etat. Sachant que
l’Etat est le seul à disposer la monopole de la violence légitime. Si un
élément interne conteste cette autorité suprême et que l'influence de l'Etat
diminue, en ce moment, le pays entre dans une crise politique et les
négociations s'imposent.
Revenons à nos moutons. L'histoire récente nous montre
comment les rebelles burundais se sont installés à l'Est du Congo [RDC] pour bien
mener leurs incursions sur le Burundi. Le CNDD-FDD, actuellement au pouvoir,
est l'un des mouvements burundais ayant utilisé l'Est du Congo [RDC] comme base
arrière. Il a dû profiter de l'absence de l'Etat congolais et bénéficier de l'hospitalité de la population qui a, à un certain niveau, épousé sa cause. Ceux
qui ont vécu dans les camps de réfugiés en Tanzanie peuvent se souvenir de comment
les mobilisés étaient envoyés en RDC. Pourtant le champ d'honneur était au
Burundi. Alors pourquoi devraient-ils passer par l'Est de la RDC?
La
période de
1994 à 2005 est riche en histoire des mouvements armés burundais. Le début a
été marqué par une réussite inestimable. Ce temps glorieux a été suivi par des échecs organisationnels marquant ainsi sa fin. Lorsque ces erreurs ont atteint leur paroxysme, on a changé de stratégies en concentrant les forces à l’Est du
Congo [RDC] et dans la région Ouest du Burundi. C’était Bujumbura et les provinces environnantes
qui étaient dans les lignes de mire car c’est une région riche en forêts
naturelles. La capitale a connu une période d’insécurité sans précédent. Elle a
encaissé tous les coups et les autorités ne pouvaient plus nier leur existence.
Ils ont asphyxié la capitale par des
actes de sabotage. Des voies routières reliant la capitale Bujumbura étaient
régulièrement prises en assaut. Les médias locaux comme RPA « ijwi
ry’abanyagihugu » faisaient des reportages informant l’opinion nationale
et internationale sur leur revendication. Pour les autorités d’alors, il était difficile
de prendre la communauté internationale en otage. Par conséquent, une frange
d’opinion proche du pouvoir était tannée du chaos qui régnait et demandait au gouvernement de tout faire pour mettre fin à cette situation insupportable.
Les rebelles voulaient que la
communauté internationale considère leur voix dont les autorités de Bujumbura
niaient sans cesse. La réalité en est que le pouvoir les connotait de
"fauteurs de troubles". En effet, leurs actions ont suscité la
curiosité des médias internationaux. De même, les partenaires politiques et
économiques du pays cessaient de croire à la version officielle. En ce moment, on
a constaté que les négociations seraient une condition sine qua non pour le
retour de la paix et la sécurité au pays. Par cette logique, le CNDD-FDD est
parvenu à arracher des autorités de Bujumbura la notoriété de la parole. La
communauté internationale a accordé une voix aux rebelles et ils ont été considérés
comme acteurs politiques à associer à la quête de la paix durable pour le
Burundi.
La concentration de force sur un seul
front de l’Ouest du pays entre dans les stratégies militaires. En 1998, les
difficultés organisationnelles au sein de mouvements sont devenues de plus en
plus inquiétantes dues aux dissensions et désertions. Pour faire face à ces
défis, il fallait réorganiser les troupes et abandonner certains fronts afin de
concentrer leurs forces sur un seul jugé essentiel. En ce moment précis de
l’histoire de ces mouvements, les négociations battaient leur plein, donc
aucun ne voulait perdre le contrôle du terrain. La guerre médiatique était
disproportionnée à celle qu’on observait sur le champ de bataille.
Ceux qui ont suivi l'évolution de la
guerre jusqu'à la fin des années 90 début 2000 peuvent constater que la
nouvelle route de guerre était devenue le lac Tanganyika. Les combattants
étaient transités par les eaux du lac malgré les risques élevés qu'ils encouraient.
Les fronts du Nord et du Centre du pays avaient cessé d'exister à cause des
difficultés de faire passer des combattants dans des zones contrôlées par les
troupes gouvernementaux. De temps en temps avec l'appui de la population et de
certains militaires pro-gouvernementaux, ils empruntaient le parc de la Ruvubu
pour traverser la province de Karuzi et enfin joindre Gitega. Dans le Centre du
pays, ils étaient accueillis par d'autres éléments bien équipés venus de la
Kibira qui les conduisaient jusqu'à la destination finale.
Il me semble que vous vous focalisez
plus sur le CNDD-FDD. Pouvez-vous nous parler des déplacements des ex-FNL de la
RDC?
Le FNL ne faisait pas d’exception. Les
mêmes mobiles qui ont poussé le CNDD-FDD à opérer à partir du Congo [RDC] sont aussi les mêmes pour
les ex-FNL. La crise politique de 1993 a forcé une bonne partie de la
population à quitter le pays pour se retrouver en RDC, en Tanzanie et ailleurs.
Les deux pays sont tous voisins du Burundi et leurs géographies pourraient
être exploitées par les mouvements rebelles burundais. Ils ont des forêts dont
les rebelles peuvent se servir pour s'entraîner et s'abriter. Malheureusement,
l’Etat tanzanien contrôle tout son territoire, aucune partie ne lui échappe. Sans
son accord, il est pratiquement impossible d'utiliser son territoire. En respectant
sa politique de bon voisinage, elle n’a permis à aucun mouvement rebelle
burundais d’utiliser son territoire. Même si ces mouvements pouvaient
tromper la vigilance des forces de l’ordre tanzanienne, ils ne l’ont pas fait pour
éviter des conséquences politiques et militaires. À ce que je sache toute tentative de vouloir
utiliser les forêts tanzaniens occasionnaient des affrontements farouches.
Aucun mouvement ne pourrait occuper le territoire tanzanien ne fût-ce qu’une semaine parce que les
services de renseignement, les forces de l’ordre et la population travaillent
en parfaite harmonie. La présence de l'Etat tanzanien sur tout son
territoire lui confère un statut d’un État fort et stable
politiquement.
Les mouvements de va-et-vient des FNL entre le Burundi et le Congo [RDC] entrait dans la logique de celle des CNDD-FDD. Il utilisait le territoire congolais pour entraîner ses troupes ou s’y
repliait. Mais également, il profitait de la faiblesse du gouvernement congolais
pour exploiter ses richesses pour soutenir sa cause et enrichir les chefs. La
province de Cibitoke étant frontalière avec le Congo [RDC] et ayant des liens
familiaux avec l’Est facilitait la traversée des hommes appartenant aux FNL. Certains
jeunes de Cibitoke pouvaient rejoindre les rangs sans aucune inquiétude car ils
partaient comme marchands et les forces de l’ordre des deux pays étaient
dans l’impossibilité de les démasquer.
Comme dit précédemment, les mouvements
ont abandonné certains fronts, ce qui était le cas pour les FNL aussi. Le front
du Nord avec la base arrière de Rumandari a été abandonné au profit de celui de
l'Ouest du pays. Plusieurs tentatives ont connu de résistance de l'armée nationale
que ce soit les attaques menées à partir de la province de Muyinga, de
Cankuzo et de Ruyigi, toutes essuyaient des échecs cuisants. La perte du front du Nord
pour les FNL est vue comme un échec total. Celle-ci les a affaiblis
politiquement et militairement même si certains chefs ne pourront pas partager
cet avis. Plusieurs membres du PALIPEHUTU et les combattants du FNL se sont
enrôlés dans le mouvement CNDD-FDD à l'époque.
Tout compte fait, les deux mouvements
majeurs armés burundais : CNDD-FDD et FNL ont opéré à partir du territoire
congolais. Ce qui attirait ces mouvements à s’installer à l’Est de la RDC au lieu de la Tanzanie sont l'absence des fonctions régaliennes de sécurité capables d’assurer la paix et la sécurité du pays. L’absence d’une armée et d'une police
digne de nom en République Démocratique du Congo a favorisé l'exploitation de la richesse du pays et l'occupation des
forêts et des montagnes à leur guise.
Voilà les raisons qui me semblent réelles et
valables qui ont, en effet, été une opportunité en or pour l'utilisation du
territoire congolais sans aucune crainte.
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